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Photo du rédacteurPierre Louis Amancic

L’Intelligence artificielle, un séisme pour le marché du travail

PIerre Louis Amancic La dissémination de l’intelligence artificielle sous toutes ses formes, en particulier via les produits et les véhicules connectés, entraine un bouleversement sans précédent du marché du travail dans nos pays occidentaux. Mais gare aux prophètes de malheur : une bonne intégration de ces technologies dans la vie quotidienne et dans les entreprises peut aussi…renouveler l’emploi.


Elon Musk, le patron de Tesla, affirmait récemment que « la course à la supériorité en Intelligence Artificielle des Etats » pourrait être à l’origine d’une « troisième guerre mondiale ». L’homme est un récidiviste. Il avait déjà déclaré, en 2017 : « Je n’arrête pas de tirer la sonnette d’alarme, mais tant que les gens ne verront pas des robots descendre dans la rue pour tuer tout le monde, ils ne sauront pas comment réagir ».

D’un autre côté, ceux que l’on appelle les « technoprophètes » se demandent ouvertement si la plus grande menace pour l’humanité n’était pas une catastrophe écologique ou la bombe nucléaire, mais bien l’intelligence artificielle, faisant passer par là ce qui n’est qu’une prophétie pour une vérité scientifique.

Ce scénario noir s’est trouvé conforté, d’une part, par une récente étude de l’OCDE qui indique que, en raison des profondes mutations technologiques, 14 % des postes actuels vont disparaître dans les quinze à vingt prochaines années et que 32 % supplémentaires connaîtront de profondes transformations et, de l’autre, par les prédictions avancées par deux chercheurs d’Oxford, selon lesquelles 47 % des emplois américains allaient être détruits !


Domination des robots

L’idée que les humains puissent un jour vivre sous la domination de robots qui auraient dépassé leur simple autonomie technique et seraient devenus supérieurement intelligents et doués de conscience a toujours fasciné le monde de la science-fiction, tout comme Hollywood. Le grand danger de ces mythes pseudo-scientifiques est de détourner l’attention des enjeux véritables. Il convient donc de démêler les faits de la fiction et de rappeler qu’au début du XIXème siècle, en Angleterre, un mouvement violent, le « ludisme », opposait les tondeurs et tisseurs à bras aux industriels qui introduisirent les métiers à tisser que les « ludistes », qui voyaient ces nouvelles machines comme un menace, détruisaient.Heureusement « Gutenberg n'a pas attendu le développement du marché du livre pour inventer l'imprimerie » disait Nicole Notat, l’ancienne dirigeante du syndicat CFDT.


Des outils spécialisés

En réalité, ce que l’on appelle l’Intelligence Artificielle n’est qu’un ensemble d’outils spécialisés, chacun étant chargé d’optimiser une unique charge répétitive. C’est ainsi que l’imagerie médicale va permettre, grâce à un algorithme, de procéder à une analyse de certains types de cancers et aider le médecin à établir son diagnostic. Autre exemple qui, lui, concerne le droit : la multiplication des « legaltech », ces start-up qui, grâce à l’IA, proposent des services allant de la rédaction d’actes à l’audit de contrats en passant par ce que l’on appelle la « justice prédictive » qui permet de prévoir, à partir d’une analyse d’un grand nombre de jugements, l’issue possible d’un litige.


Tout progrès technologique conduit à un déplacement des métiers.

Comme le montrent plusieurs études réalisées depuis une dizaine d’années, et contrairement aux idées reçues, les innovations technologiques ne détruisent pas le travail, qu’il soit manuel ou intellectuel. Au contraire : elles créent plus d’emploi qu’elles n’en suppriment. Si, sous l’effet du progrès technologique, certains métiers disparaissent, d’autres naissent, tandis que les effets pervers générés par les nouvelles technologies finissent par être corrigés.

Aujourd’hui nombreux sont ceux qui se demandent si un robot peut remplacer leur travail et rendre leurs compétences obsolètes. Or l’IA permet avant tout d’automatiser des tâches répétitives et parfois ingrates. Elle doit être abordée comme une opportunité technologique qui permet au salarié de dégager du temps, de l’aider à prendre des décisions, de se consacrer à une mission comportant plus de valeur ajoutée ainsi qu’aux relations humaines. L’infirmière, par exemple, aura plus de temps à consacrer à ses patients tandis que le pharmacien sera à même d’établir des diagnostics simples qui valoriseront son métier et que l’éleveur, avec l’utilisation du robot de traite, s’occupera mieux de ses animaux. En cela, l’IA redonne du sens au travail, ce que recherchent avant tout les jeunes générations.


L’Intelligence Artificielle favorise la progression du QI.

L’IA ayant pris en charge les tâches répétitives, l’homme va voir ses capacités d’abstraction se développer, favorisant ainsi la progression de son QI. L’homme moderne est encore très semblable à l’Homo sapiens né il y a 300.000 ans, comme l’a montré une étude publiée dans la revue Science. Cela s’explique, selon cette étude, par l’extrême jeunesse de l’homme moderne. Notre cerveau a peu évolué. Mais cela change très vite. Plus les capacités d’abstraction de l’homme évoluent plus son QI augmente. C’est ce que l’on appelle « L’effet Flynn » du nom de son inventeur, l’Américain James R. Flynn, qui a noté une augmentation de 3 à 5 points du QI par décennie, selon les tests les plus couramment utilisés. Cette évolution est la conséquence de l’évolution des conditions de travail de l’homme.

En venant optimiser les processus de production, l’IA va révolutionner tous les métiers, mais surtout faire baisser la pénibilité du travail, libérer les salariés en état de surcharge et diminuer le niveau de stress tout en augmentant la qualité de la production. Cette libération favorisera l’évolution des capacités d’abstraction et, en raison de « L’effet Flynn », permettra à l’homme de faire progresser son intelligence.

L’arrivée de l’IA dans le travail en entreprise est une étape aussi importante que celle de la bureautique en d’autres temps.


Une technologie qui peut servir à tout.

On a qualifié l’IA de « general purpose technology » qui peut être utilisée à toutes sortes de fins dans l’industrie, comme dans les services. Mais il faut en moyenne une vingtaine d’années avant que l’apparition d’une technologie ait un effet mesurable sur certains secteurs de l’économie. Nous disposons donc d’un peu de temps pour nous adapter. Quant à la possibilité de créer des machines dont l’intelligence approche ne serait-ce que celle des animaux, cela relève de la science et non de la technologie.

« Le niveau d’intelligence des machines est encore très élémentaire, même si elles ont une intelligence supérieure dans des domaines très pointus, comme jouer au go » affirme Yann LeCun, spécialiste renommé de l’IA, lauréat en 2019, avec un Canadien et un Britannique, du prix Turing (qui est parfois considéré comme l’équivalent du Nobel en informatique). Titulaire en 2016 de la chaire « Informatique et sciences numériques » au Collège de France, Yann LeCun est actuellement professeur à l’université de New-York et responsable de la recherche en IA chez Facebook. Ces machines ont d’ailleurs tendance, selon la façon dont elles sont programmées, à reproduire les préjugés humains (tels que racisme, sexisme, etc), comme l’ont prouvé de nombreuses études analysant les modes de sélection des candidats à divers concours. Cela prouve que, œuvre humaine, l’IA n’est au fond rien de plus que ce que l’on décide d’y mettre.


Références :

-Yann LeCun : « Quand la machine apprend. La révolution des neurones artificiels et de l’apprentissage profond » (Odile Jacob, 2019).

-Erik Brynjolfsson & Andrew McAfee : « Le deuxième Age de la machine (Odile Jacob, 2015).

-Jean-Gabriel Ganascia : « Le Mythe de la singularité. Faut-il craindre l’intelligence artificielle ? (Seuil, 2017).

-Laurence Devillers : « Des robots et des hommes. Mythes, fantasmes et réalités » (Plon, 2017).

-Sans oublier l’excellent roman « Rêves de machines », de Louisa Hall, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Hélène Papot (Gallimard, 2017).

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